Kinshasa

Kinshasa

mercredi 14 janvier 2009

TROMAL

« Où est Charles ? »

« Ah, il ne viendra pas aujourd'hui, il est éprouvé, nous irons à la levée de corps demain. »



C'est une conversation courante ici et personne ne semble choqué ou surpris que quelqu'un soit « éprouvé » (à part moi qui pose encore des questions sur les causes et circonstances du décès). Ici la mort est acceptée mieux que chez nous. Chez nous, elle est chuchotée, dissimulée, étouffée, c'est un des plus grands tabous qui restent (le sexe ça fait longtemps que ce n'en est plus, avec la crise financière, l'argent non plus… je déconne); comme si en parlant de la mort, on risquerait de provoquer la sienne. La mort chez nous est diplomate, elle n'est pas dite mais embaumée et évoquée, parfumée, recouverte de fleurs et il existe tellement de périphrases pour faire semblant de ne pas en parler « passer le pas, nous quitter, monter au ciel, il n'est plus » qu'on se demande pourquoi on en a tellement peur. On en a si peur que nos gouvernements, nos universités et hôpitaux dépensent des millions pour essayer de la repousser le plus loin possible. En fait, on a les moyens d'avoir peur. On a les moyens de se faire soigner, d'acheter des médicaments, de vivre bien et surtout de vivre longtemps. On peut se permettre de la craindre puisque malgré tout ce qu'on fait, elle vient, elle est plus forte que nous…

Ici la mort est là. On en a un peu peur mais on sait qu'elle est inévitable et de toute façon on sait que lutter contre elle est rarement couronné de succès. On ne la cache pas. Quand quelqu'un meurt, tout le monde va au deuil, on informe le plus de gens possible, on fait des communiqués à la télé, à la radio. Il y a rarement moins de 100 personnes à des funérailles. On expose le cercueil ouvert et vêtu de ses plus beaux vêtements le mort est visible de tous. On commente son apparence, sa tenue, on met de la musique, on danse autour du cercueil. A la télévision, les images ne sont pas modifiées ou floutées. Si il y a eu un accident de la circulation, on filme les victimes et les images sont montrées tel quel sans avertissement. Tous les jours, les gens meurent de mort violentes ici, crimes crapuleux, assassinats, accidents de la circulation, incendies, éboulements, électrocution (les câbles trafiqués de la SNEL sont souvent à même le trottoir, en saison des pluies, il suffit de marcher dans la mauvaise flaque et c'est 3000 volts assurés). A la télé, j'ai vu des corps écrasés par des véhicules, parfois la personne meurt sous les yeux de la caméra, j'ai vu une jeune fille qui s'était pendue à un arbre dans la nuit et tous les gens du quartier petits et grands qui venaient regarder la morte (chez nous on fait ça proprement, on « prend des médicaments pour dormir… »), j'ai vu des grands brulés, une jeune fille avec la peau du crane à moitié arrachée. Et toujours sans fioritures (c'est une « in your face experience »).

Les marchands de cercueils (ou plus joliment « pompes funèbres ») qui s'alignent sur le chemin qui m'amène chez FOSPHA sont à ciel ouvert. Les cercueils sont exposés à même le trottoir (j'avoue avoir été choquée quand j'ai vu un petit cercueil d'à peine 1 mètre). Les menuisiers qui fabriquent et vendent ces cercueils les utilisent comme bancs pour la pause de midi. Avec le contexte qui prévaut ici, certains ont même construit des maisons dans les cimetières. D'autres y jouent au foot (ben oui, un grand espace avec du gazon…) Les enfants n'ont pas peur de se promener le soir dans les cimetières.

Les jeunes meurent autant que les vieux et les causes sont diverses, rarement précises (pas de CSI/experts ici) et souvent étranges « il était malade, on l'a ensorcelé, sa maison a brulé, un accident de voiture en ville, il était à l'hôpital, les militaires ont cambriolé sa maison, il a mangé des feuilles de courge mal préparées (croyez le ou non ça peut être fatal) parce que c'est tout ce qu'il y avait à manger, il est tombé dans le puits perdu (il creusait des latrines et est tombé dedans), il s'est noyé dans le fleuve en allant se laver etc. ».

La mort ici fait ouvertement partie de la vie de tous les jours, elle est un peu crainte mais sa présence est acceptée comme naturelle et inévitable, au même titre que la pluie ou le soleil. On ne la contourne pas parce qu'on sait qu'elle sera toujours là et de toutes façons on a rarement les moyens de lutter contre elle. Les soins de qualité et les médicaments coutent cher. Pour vous donner un exemple les bronchites de Laura nous coutent en moyenne 95$ (si elle est hospitalisée ça va jusqu'à 900$) et en plus je suis remboursée et un Kinois gagne à peine 3$ par jour si il a de la chance. C'est vrai que ce sont des extrêmes mais ce sont des situations extrêmes que vivent les gens ici. C'est peut être pour ça qu'ils se marrent souvent en regardant des films d'horreur qui moi m'empêchent de dormir pendant des nuits et des nuits.


Espérance de vie

Mortalité infantile

RDC

46 ans

88,6 pour mille

Belgique

78,6 ans

4,68 pour mille




Source : populationdata.net

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire