Cela ne fait pas longtemps que je conduis à Kinshasa et c'est une expérience du 3ème type. En gros, chacun fait ce qu'il veut, il n'y a pratiquement pas de panneaux de signalisation (on peut les compter sur les doigts de la main), pas de feux de circulation (bon j'exagère, il y en a 2 ou 3 pour une ville de 24 communes et 8 millions d'habitants et en plus on n'est jamais sûrs si ils fonctionnent ou pas), les roulages (agents de la circulation) sont pourris jusqu'à l'os et leur principale activité consiste à tendre des pièges aux conducteurs. On m'a expliqué que c'était très bien de connaître le code de la route mais qu'à Kinshasa, chaque carrefour, chaque croisement, chaque rond-point avait « son code » dicté un peu selon l'humeur du roulage en fonction ce jour là. Au même endroit, dans la même direction, Moïse s'est fait arrêter pour ne pas avoir mis son clignotant et moi pour l'avoir mis...
Les raisons pour vous interpeller ne manqueront jamais, on vous dira que vous n'avez pas respecté les lignes qui délimitent votre bande, mais bien sûr les lignes sont effacées depuis des années, on vous dira que vous êtes trop à gauche, trop à droite, trop devant, trop derrière, on contrôlera tous vos documents, jusqu'à trouver la moindre petite raison de vous extorquer de l'argent... C'est la vie de tous les jours ici. Les chauffeurs de taxi paient tous les matins un « laissez-passer » aux roulages pour pouvoir travailler en paix. Le mieux, quand on vous interpelle, si la voie est libre et qu'il n'y a pas de roulage à moto, c'est de foncer. Ben oui. Mais parfois on est bloqué et il faut obéir aux injonctions des agents de désordre. Ils vont prendre votre permis, carte rose etc. et là vous n'avez plus qu'à vous « entendre ». C'est à dire vous mettre d'accord sur le montant que vous lui donnerez. Évidemment la somme varie en fonction de la voiture que vous conduisez, de vos vêtements, de votre attitude et de votre race. Oui. Les chauffeurs de taxi s'en sortent avec 2500 FC (soit 2.5 euros) et Koffi (Olomidé) avec 80000 FC (80 euros)...
Or, donc, hier j'arrive avec ma petite Mazda 323 cabossée à un carrefour où les voitures sont alignées sagement les unes derrière les autres, ce dernier élément m'étonne un peu au premier abord mais je m'arrête moi aussi et mon copilote me rappelle la distance à respecter, ce que je fais. Et là, sortis de nulle part, deux roulages apparaissent, puis d'autres et encore d'autres et commencent à « interpeller » les conducteurs. Évidemment, je n'y échappe pas:
Roulage 1: « Bonjour Madame, les documents svp! »
On lui donne la carte rose.
R 1: « le permis, faites vite! Ne perdons pas de temps! »
Moi : «Voilà! Moi aussi, je suis pressée. Pourquoi vous m'arrêtez? »
R 1: « Mademoiselle, il faut respecter la distance entre les véhicule »
Moi : «C'est Madame... Regardez, vous voyez bien qu'il y a plus de 3 mètres entre moi et la voiture devant! »
R 1: « Madame... FANTA, c'est ça hein? Ne discutez pas! »
Moi: « Je ne discute pas mais vous voyez bien que j'ai raison »
R 1: « Nous sommes la police moderne! »
Moi : « Ah oui, vraiment? »
R 1: « Bon, Mademoiselle, »
Moi: « Madame »
R 1: « Eh! Pardon, madame, les vitres fumées c'est interdit! »
Moi : « Ah bon? Regardez toutes ces voitures, elles ont toutes des vitres fumées, pourquoi vous ne les arrêtez pas? »
R 1: « Écoutez mademoiselle, mettez vous sur le coté »
Moi: « ça fait 3 fois que je vous dit que c'est madame! »
R 1: « Bon, si c'est comme ça » il fait le tour de la voiture (pendant ce temps, son collègue se tient devant la voiture pour m'empêcher d'avancer) il dit à mon copilote de s'asseoir derrière, fait entrer son collègue et s'assied devant.
Roulage 2: « Madame, les vitres parfumées c'est interdit! »
Moi: « Pardon? »
R 2: « Oui, les vitres parfumées c'est interdit par la loi! »
Moi: « On ne peut pas mettre le parfum sur les vitres? »
R 2: « Oui, c'est interdit »
R 1 à R 2 (en lingala) « Tais toi! »
Puis se tourne vers moi « madame, on va au poste, on va à Kin Mazière (police centrale), vous allez payer l'amende là bas! »
Moi: « Vous devriez d'abord me donner une contravention, un pv, quelque chose comme ça non? »
R 1: « Madame je suis un agent de la SADC (Communauté de Développement de l'Afrique Australe) » et il me met sa carte sous le nez.
Moi: « Mais je vous crois... je n'ai pas de problème avec ça »
R 1: « Alors on appelle l'ANR (Agence Nationale des Renseignements) »
Moi : « Appelez les si vous voulez »
R 1: « les vitres fumées c'est interdit »
Moi: « Vous l'avez déjà dit »
R 1: « Bon on va s'arranger, mettez vous au milieu » il m'indique de dépasser le carrefour et de me garer devant une Mercedes qui est également en cours de négociation. « madame, vous n'êtes pas facile hein? Vous êtes française? »
Je me gare
R 1: « Donnez seulement 5000 FC »
Je suis sûre qu'il a dit 5000 FC puisque ça m'a étonnée que ce soit si peu. Je lui donne donc 5$ et 1000FC.
R 1: « C'est quoi ça? »
Moi: « Ben vous m'avez dit 5000 FC »
R 1: « On vient d'arrêter Koffi, vous savez combien il a donné? Il a donné 80000 FC! »
R 2 répète « Koffi apesi 80000 FC »
Moi: « Naza Koffi té! » Je ne suis pas Koffi
R 1, stupéfait « eh! »
R 2 Rigole « Azoloba lingala! Très bien! »
R 1: « Ecoutez Madame, Koffi a donné comme ça! »
Moi : « mais Koffi c'est une star, il est tout là haut moi je suis ici, regardez ma pauvre petite voiture! »
R 1: « Bon on appelle notre chef » apparaît un roulage de sexe féminin
Roulage 3: « Quelle est la situation? »
R 2: « ce sont les vitres parfumées »
R 1 lui explique que mes vitres arrières sont fumées et que c'est interdit, puis il ajoute « elle a fait une tentative de corruption de 5000 FC » En entendant cette phrase là je me demande un peu ce qu'il se passe mais je suis vite rassurée lorsque R 3 dit « non elle doit donner 50000 FC »
Juste à ce moment là un 4x4 typique de ceux que conduisent les députés nous dépasse. Ses vitres sont fumées évidemment.
Moi: « Regardez votre député, il a des vitres fumées, un membre de votre propre gouvernement! »
R 2: « Non ça c'est original (original ici ne veut pas dire excentrique mais d'origine)
Moi: « C'est un parfum original? »
R 2: « Oui c'est original »
R 1 à R 2: « mais tais toi donc! »
S'ensuit une discussion sur qui a droit aux vitres fumées où non, si c'est une loi officielle etc...
R 3: « Bon donnez les 50000 FC »
Moi: « Quoi? Non j'ai pas, je dois aller payer des employés, ce n'est pas mon argent, c'est l'argent du travail. »
R 1 à R 3 en swahili
Moi: « Munasema Kiswahili? Tsssss »
R 2: ha ha ha! Vous parlez aussi le swahili? Vous êtes qui vraiment? »
R 1 et R 3 sont légèrement mal à l'aise.
Finalement après discussion, je leur donne 20$
R 1: « Mais madame, excusez mon français, on est quand même gentils n'est-ce pas? Hein? Ça va hein? »
Moi: « Oui, oui, je peux y aller maintenant? »
R 3: « Mais à te voir comme ça, tu semble gentille mais à l'intérieur, tu es mauvaise! »
Moi: « Vous savez pourquoi? C'est parce que j'ai passé trop de temps ici. »
R 3: « Ta figure est gentille mais tu es mauvaise, oza mabé »
Je n'ai pas voulu lui demander si ce que eux faisaient était gentil. Pourtant, c'est vrai, je suis devenue mauvaise et aigrie à cause de chose comme ça. Je sais qu'ils sont payés un salaire de misère qui ne suffit même pas à acheter à manger pour 15 jours alors ils font comme tout le monde, ils se débrouillent. Mais ce qui me dégoute c'est que leurs chefs vivent grassement et la population paie. Et moi en tant que mundele, je suis systématiquement ciblée (d'autant plus que je conduis une petite voiture privée). Et je râle contre cette ville, je bouillonne intérieurement et je me demande ce que je fais ici et j'arrive dans une des ONGs avec laquelle on travaille et je vois le sourire et les yeux des mamans toutes fières d'apprendre à lire et les enfants heureux d'être des enfants et de faire les fous devant mon objectif. Et je ne sais plus quoi faire. I hate to love this place...
vendredi 25 septembre 2009
lundi 21 septembre 2009
A MALINS, MALIN ET DEMI

Il y a des jours où j'ai envie de donner un grand coup de pied et prendre le premier avion hors d'ici. Franchement. Ces dernières semaines, certains employés de la SNEL (la compagnie d'électricité) ont découvert en nous paisibles habitants des avenues Kabasélé et Mayalos une source de revenus qu'ils semblent croire illimitée.
Tout a commencé lorsque qu'un petit malin a récupéré la concession sur laquelle se trouvent aujourd'hui les deux routes en cul de sac qui s'appellent les avenues Kabasélé et Mayalos. Avant, tout ce terrain appartenait à une personne, d'après ce qu'on m'a raconté, il y avait juste des hangars délabrés. Un petit malin ayant remarqué que cette « concession » était à l'abandon a magouillé avec des employés des affaires foncières pour mettre ce terrain en son nom. Voilà donc qu'il se retrouve propriétaire d'un terrain de la taille d'un terrain de foot; le vrai propriétaire est inconnu, il a sans doute encore des papiers qui prouvent que ce terrain lui appartient mais il ne s'est jamais manifesté. Notre petit malin commence donc a morceler ce terrain en parcelles qu'il met en vente. Ces parcelles ce vendent comme des petits pains pour la rondelette somme de plus ou moins 15000$ la parcelle et sachant qu'il y a une 40aine de parcelles... je vous laisse prendre votre calculette. Des privés ont donc acheté ces parcelles et y construisent des maisons (toutes plus majestueuses les une que les autres) et les premiers arrivant ont donné leurs noms aux deux avenues ainsi créées.
Ces nouvelles maisons se sont reliées au réseau électrique du quartier par des câbles simples dans des raccordements plus ou moins frauduleux. L'avantage est que nous somme dans un quartier « industriel » il y a donc des usines et des entreprises qui bénéficient de priorités dans la distribution du courant. Priorité dont les premiers habitants des avenues Kabasélé et Mayalos ont tiré profit pendant plusieurs mois. On a donc eu du courant électrique presque sans interruption pendant ce temps là. Mais un beau jour, la SNEL a découvert ce nouveau quartier tout illuminé et qui n'avait jamais payé une seule facture d'électricité (ce n'est pas faute d'avoir entrepris les démarches mais l'administration est tellement lente pour obtenir un raccordement en bonne et due forme, et en plus la SNEL n'a plus de compteurs en stock, les facturations se font sur base d'un forfait estimant la consommation du ménage) qu'elle a décidé de couper les câble qui nous apportaient la vie. Il fallait racheter plusieurs mètres de câble à la SNEL pour un total de 9000$ main d'œuvre comprise. Une âme charitable a payé cette somme (qui devait être remboursée progressivement par les autres habitants de l'avenue...ha ha ha!) et on nous a installé un câble à large section auquel toutes les maisons ont pu se raccorder. Mais quelques mois plus tard ce câble a brulé, il se trouvait à 1m sous terre mais la voiture qui était garée au dessus de la portion qui a brulé s'en souvient encore. On paie et la SNEL « répare ». Ce genre d'incident se reproduit maintenant de plus en plus fréquemment et c'est désormais tous les weekends que le câble brule (quand je demande comment un câble peut bruler uniquement le weekend, on me regarde bizarrement et on rit, pourtant ma question est honnête non?.... non?).
Alors voilà, chaque weekend, le courant commence par diminuer en intensité pour finalement être coupé complètement. Vous pouvez être sûrs que Lundi, Papa Andy va faire le tour du quartier pour que chaque ménage paie 5$. J'essaie de lui poser des questions pour comprendre exactement ce qu'il se passe mais ses explications sont aussi confuses que vagues.
Est-ce qu'on a l'impression de se faire arnaquer? OUI et en beauté
Que se passera-t-il si on ne paie pas? RIEN, et c'est ça le plus frustrant, le type de la SNEL qui joue à ce petit jeu, il s'en fout qu'on ait du courant ou pas.
Est-ce qu'on est pris en otage? OUI, par exemple moi je travaille à la maison, sans courant, je ne peux presque rien faire
Que peut-on y faire? RIEN, aucune maison n'a encore de dossier de client à la SNEL, et ce n'est pas faute d'avoir entrepris les démarches
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